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Compte-rendu élaboré à l'issue du Deuxième Forum Axes et Cibles/ E.G.P. tenu au procope le 22 juin 2002
Un rapide tour de table permet aux nouveaux arrivants de se présenter. La variété des formations, la largeur des centres d'intérêts évoqués par les intervenants comme la fluidité des propos échangés présagent plutôt bien de l'avenir de ces réunions.
Nous sommes assemblés pour produire à terme un certain nombre de travaux théoriques centrés sur les mutations actuelles du monde moderne et pour avancer dans ce projet d'interroger le plus librement possible l'ensemble des liens entre Actualité, Psychanalyse et Politique.
D'emblée la question est posée de savoir si le thème même de nos discussions, comme notre façon a-hiérarchique de les concevoir et de nous auto organiser, ne constitue pas déjà en soi un acte à situer dans le champ politique.
Par l'intermédiaire d'un courriel envoyé au groupe, Jean Frécourt nous fait part à la fois de son vif intérêt pour ce que nous entreprenons et de sa grande perplexité par rapport au programme annoncé. Il ne paraît pas évident, nous écrit-il, " que le psychanalyste puisse proposer - en tant que tel, au nom de sa spécificité - une "analyse de l'actualité", sa seule légitimité réside dans l'analyse des interactions de l'actualité et de la subjectivité de l'analysant, la condition, qui ne va pas de soi, en étant que l'analyste y soit disposé. " La question ensuite soulevée consiste à se demander si l'approche retenue n'est pas dangereuse : en avançant dans la logique de cette démarche, ne risquons-nous pas d'être pris dans un engrenage, et d'effectuer en quelque sorte un "acting out politique" susceptible de porter préjudice à l'image et à l'avenir même de la psychanalyse ?
À partir de la lecture de ce mail, différents avis sont émis dans la salle. Il s'ensuit une discussion qui va aider à clarifier les enjeux, à cerner les écueils possibles, comme à mieux préciser les sujets que nous proposons d'approfondir dans le cadre de ces rencontres.
Quel que soit le régime sous lequel nous vivons et sous lequel vivent nos patients, nous sommes incontestablement nombreux, au sein de ce groupe, à tenir pour illusoires toutes les positions prétendument apolitiques, et unanimes pour dénoncer cette version perverse de la neutralité derrière laquelle certains analystes ont jadis trouvé et trouvent encore parfois à se retrancher pour abriter leur complicité face à des régimes insoutenables. Poser la question du sens et des éventuelles limites de la neutralité en matière politique ne signifie pas que nous soyons pour autant indifférents au risque de soumettre, par le biais du transfert, les patients aux aléas de nos engagements personnels.
Un participant rappelle que chacun est à la fois sujet de la psychanalyse et sujet politique. Toute une partie de l'art analytique consiste sans doute à savoir se garder d'être dans la confusion des rôles sans tomber dans un clivage radical par rapport à ces deux facettes d'une même identité, étant entendu que certaines circonstances historiques rendent objectivement beaucoup plus difficile que d'autres de trouver ce juste équilibre. Quelqu'un fait remarquer que les milieux intellectuels en général et les analystes en particulier ont eu souvent tendance à privilégier au XXe siècle les approches structuralistes et à tenir pour plus accessoire l'étude de l'histoire. Or en Europe comme en Amérique Latine, le passé récent prouve que l'histoire de la psychanalyse ne saurait se dissocier de l'Histoire. Pourrions-nous, en nous intéressant un peu plus au passé, apprendre à mieux repérer les situations historiquement et politiquement complexes pour mieux gérer à l'avenir d'autres situations de crises ?
Des pensées se tournent vers le Brésil où se réunit justement au même moment le groupe animé par Maria Cristina Magalhães et vers l'Argentine où, en novembre prochain, doit avoir lieu la troisième rencontre latino-américaine des É.G.P. La gravité de la situation en Argentine soumet la rencontre de Buenos-Aires à d'inévitables aléas ; il est toutefois probable que ce nouveau regroupement sera une étape importante dans la préparation des É.G.P. II. Quoiqu'il s'agisse d'un congrès essentiellement latino-américain, des personnes en provenance d'autres zones géographiques peuvent aller y présenter des travaux, à condition de venir avec des textes traduits en espagnol ou en portugais.
Que ce soit dès novembre 2002 ou lors de la Toussaint 2003, nous finirons par transmettre des communications et certains à ces dates se rendront outre-mer. Le fait que les É.G.P. reposent pour beaucoup sur le principe de transferts transatlantiques soulève la question du prix des liaisons au sein de ce réseau.
Ces transferts sont-il à voir comme renvoyant uniquement à des affaires privées ou se pourrait-il qu'ils soient également porteurs d'une dimension plus large et dans ce cas serait-il envisageable de penser à assumer une partie de cette charge de façon collective?
L'évocation du prix d'un vol Paris-Rio ou du coût d'une page de traduction est une occasion comme une autre d'aborder de façon concrète les choses de l'argent alors que le débat avait démarré sur une remarque qui venait pointer la difficulté des analystes à parler de façon authentique de l'argent en public.
La somme de 10 euros demandée pour participer aux forums Axes/É.G.P. ne constitue pas un obstacle susceptible de freiner l'accès aux discussions de ce groupe, par contre allons-nous sans rien en dire et sans rien faire, laisser la barrière de l'argent se reconstituer automatiquement dès lors qu'il s'agira d'aller présenter des idées et des textes à Buenos Aires ou à Rio ?
La question est donc posée de savoir si on doit tout "naturellement" laisser l'argent servir de facteur de tri pour assurer la "libre" circulation des idées au sein du réseau E.G.P. ou si on peut réfléchir à des aménagements qui permettraient aussi à d'autres catégories d'idées et de gens de circuler à l'international. Maintenant seul l'avenir dira si miser sur le fait d'arriver à mobiliser dans ce cadre des ressources de générosité était un pari fou.
Les problèmes de paiement de l'analyste sont évoqués avec cette remarque d'une théorisation souvent pauvre et un peu trop tournée sur la défense des intérêts des analystes. Nous sommes dans l'ensemble plutôt d'avis qu'un analyste doit pouvoir faire peu payer, ne pas faire payer et qu'il est même envisageable qu'il puisse participer au financement de la cure de certains patients. En tout cas ces questions ouvertes par le fondateur et dans l'ensemble vite refermées par bon nombre de ses successeurs, nous semblent mériter réexamen. Des membres fondateurs et animateurs du groupe Bastille prennent alors la parole. Sont ainsi rappelées les grandes lignes d'une expérience conçue il y a quelques années par un groupe d'analystes qui s'étaient engagés à prélever une somme modique mais constante sur leurs revenus pour permettre de donner accès à l'analyse à des personnes qui autrement en auraient été écartées. L'œuvre accomplie, les raisons et les conditions de l'arrêt de cette entreprise comme son caractère "héroïque" sont discutées avant qu'il soit fait référence à d'autres types de solutions qui se développent à l'aide de fonds publics et permettent d'intervenir auprès d'enfants particulièrement défavorisés. Le débat amorcé sur les avantages et inconvénients respectifs du recours aux initiatives privées ou aux fonds publics pour élargir l'accès à l'analyse s'infléchit avec cette constatation d'une multiplication des situations où ce sont tous les éléments du cadre classique qui posent problème. La majorité des participants est d'avis que le métier d'analyste se transforme considérablement. Les demandes changent, s'exprimant parfois sous formes de cris qui dérangent violemment tant l'ordre de la société que le confort de nos habitudes de pensée ; mais l'offre d'analyse est également en pleine transformation.
Des remarques interrogent le statut du mensonge en politique comme en psychanalyse quand d'autres s'intéressent aux capacités nouvelles de transparence offertes par Internet ou au poids de l'Actuel et du Réel de et dans la psychanalyse. Enfin certains intervenants abordent le sujet de la banalisation et de l'escalade de la violence, dont il est question de d'interroger le statut ainsi que celui de la mort. Sommes-nous face à un effondrement de mythes ou de structures ?
L'ensemble de la discussion ouvre sur de larges perspectives de recherches. Plusieurs directions d'investigation sont annoncées, dont certaines à partir de travaux déjà en cours de rédaction, ce qui devrait permettre d'organiser prochainement des débats autour de publications recoupant des thèmes voisins.
- L'une de nos priorités va être de témoigner comment le social, l'économique, le politique et le factuel de l'actualité arrivent dans la cure et interfèrent avec la problématique des patients tout autant qu'avec celle des analystes. Quelle est la place faite à l'écoute du social, de l'économique et du politique dans cette institution, à la fois privée et inscrite dans le socius, que représente le cabinet de l'analyste ? Les analystes ont-ils la même oreille sur ces questions quand ils travaillent dans un environnement autre que le cadre libéral ? Et sont-ils toujours les mieux placés pour rendre compte des principaux effets sociaux internalisés, souvent inconscients, qui influent sur leur vision de l'univers comme sur leur conception des processus psychiques ?
- La question philosophique de savoir si l'essence même de l'analytique ne touche pas d'une certaine manière au cœur même du politique s'annonce déjà comme un autre thème majeur. Il y a à se demander si on peut légitimement supposer que le propre de l'analyse s'inscrit dans la lignée d'une démarche émancipatrice susceptible d'appeler les humains à un au-delà du rapport de force. Les analystes n'ont-ils rien d'original à dire sur la possibilité ou l'impossibilité de sublimer l'appétit de domination, rien de nouveau à avancer sur l'organisation plus ou moins violente des différents types de société existant à la surface du globe et doivent-ils rester muets face au déferlement de cruauté mis en acte dans certains conflits comme ceux du Moyen-Orient ?
La difficulté de savoir comment s'y prendre pour éviter d'imprimer sur les analysants la marque de choix militants tout en reconnaissant aux analystes le droit et même éventuellement le devoir de s'engager en tant que citoyens nous semble justifier un effort de réflexion élargi. Par ailleurs nous sommes évidemment preneurs de travaux sur le fonctionnement des rapports de pouvoir au sein du milieu analytique, les violences institutionnelles, les pressions diverses et leurs effets sur la pratique psychanalytique.
- Un autre domaine a priori intéressant à explorer dans un contexte ouvert sur l'international concerne tout ce qui a trait aux nouvelles formes de procréation et de "parenté plurielle " (adoption internationale). Comment penser une vraie solidarité dans les nouvelles formes de coparentalité internationale ? Comment améliorer la protection de l'enfance, notamment dans ces pays du tiers-monde où sévissent l'exploitation du travail à bas prix et la prostitution à base de tourisme sexuel ? Il est également fait mention de la fréquence des déplacements de population, des pertes de nationalité, des refus d'appartenance nationale et de la multiplication des sujets sans papiers : le savoir de l'analyste en l'état actuel est-il d'une utilité quelconque pour penser le rapport à l'identité et au communautaire dans les conflits entre états ou ethnies ou pour penser le statut de réfugié, d'apatride ou encore celui de sujet d'origine inconnu ? Qu'avons-nous à dire face aux transformations de la famille occidentale et face à la perte des repères traditionnels ?(familles décomposées et recomposées, extension des situations de monoparentalité). Quelles sont les nouvelles donnes dans les questions de la construction de l'identité ?
- Il nous paraît évident que certains maillons de la théorie analytique sont faibles et ont besoin d'être repensés quand d'autres points souffrent justement de n'avoir pas été encore élaborés. Nous estimons que les analystes ont un important effort d'aggiornamento à accomplir et que ce travail nécessite d'être à la fois à l'écoute de la clinique actuelle et de savoir prendre en compte aussi bien les critiques formulées par les patients que les remarques émises par les représentants d'autres disciplines.
Par rapport à tous ces sujets, nous ne pensons pas qu'il puisse être anti-analytique de réfléchir au malaise dans la civilisation, ni déplacé de vouloir écrire de nouvelles pages concernant le malaise actuel. Il nous est d'ailleurs proposé de relire le texte de Freud sur le Malaise dans la culture et les écrits de Lacan sur le discours du capitaliste avant de nous retrouver à la rentrée.
Bonnes fin de vacances, bonnes réflexions à tous et rendez-vous le 21 septembre, pour la poursuite de l'aventure.
Christine Bardolle/Anne-Geneviève Roger
Pendant une ou deux séances, les prochains forums auront encore lieu sous la forme de discussions informelles. Quand de nouveaux textes seront parvenus à la Cyber Revue, des débats plus cadrés seront organisés, mais avant même d'avoir atteint leur version définitive, des textes peuvent être mis en circulation au sein du groupe et faire l'objet de discussions futures.
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