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Forum Axes et Cibles / EGP du 19 octobre 2002
1) Présentation par Michel Juffé de son texte "L'essence politique de la psychanalyse"
Parti d'abord d'une extension de l'idée de " séparation " (ou castration) de son sens psychanalytique à un sens anthropologique général, puis d'une autre extension du " complexe d'Œdipe" à sa dimension politique (ce qui n'est jamais qu'un retour à la tragédie grecque), j'en suis arrivé à l'idée que l'ensemble des concepts psychanalytiques et de la pratique psychanalytique est fondamentalement politique, non seulement en tant que les psychanalystes sont aussi des citoyens qui doivent prendre parti (et non rester neutres au nom d'une " bienveillance " qui se révèle trop souvent malvoyante) mais surtout parce que la vie psychique est traversée de part en part et composée dans ses moindres fibres de l'ensemble des affections qui façonnent la vie de la cité, que ce soit dans la maison (oikos), sur la place publique (agora) ou dans les institutions politiques (ecclesia).
C'est ainsi que je propose quatre thèmes/thèses/ arguments qui visent à mettre fin à l'écart (ou à l'opposition) entre vie psychique et vie sociale, intra-subjectivité et inter-subjectivité. Les voici résumées :
I. Toute manifestation psychique individuelle suppose une communauté de mœurs et de langage pour qu'elle prenne sens, aussi bien chez celui qui l'exprime que chez ceux qui l'interprètent. Autrement dit, quelles que soient les singularités de l'histoire personnelle elles " font corps " avec les particularités d'une histoire collective et avec les généralités de la condition humaine.
II. Le degré d'individuation est strictement corrélé au degré de socialisation, autrement dit de croissance et de différenciation des formes sociales. Autrement dit, l'individuation (et par suite, en tant que coupe instantanée, l'individualité) est un processus de diversification et de complexification de soi-meme qui n'est possible que si le " milieu ", la société dont on fait partie connaît le meme degré de diversification-et-complexification. L'esseulement et l'effondrement psychique de certains (Nietzsche, Schreber, Kafka… comme exemples emblématiques) tient à l'impossibilité de corréler leur différenciation " interne " à une différenciation " externe ".
III. Le psychisme, autrement dit l'âme, n'est ni une partie du corps ni une autre substance attachée au corps de quelque manière que ce soit, mais la manière dont les corps s'affectent les uns les autres. Autrement dit, n'existent que des corps dont la co-ex-sistence peut être appelée " âme " (soul et non mind ; seele et non gesit), dans la mesure où les qualités de l'âme sont toujours des qualités des relations aux autres, une altérité qui peut se rapporter à soi-meme (la fermeté selon Spinoza) ou à d'autres individus (la générosité selon Spinoza).
IV. Le conscient et l'inconscient - ou mieux le su et l'insu - sont les effets de ces affections, l'un en tant qu'elles sont aperçues et l'autre en tant qu'elles sont inaperçues par tel ou tel individu (alors qu'au moins un autre la perçoit - sans qui il s'agirait non d'insu mais d'inconnu, d'in-ex-sistant). Par suite, su et insu sont toujours relatifs l'un à l'autre et ne peuvent être substantivés. L'Inconscient (grand I) n'existe pas, alors qu'une multiplicité d'insus existent et insistent.
2) Discussion
- Un des objets de ce texte était d'attirer l'attention sur le politique à l'œuvre dans la psychanalyse. Aussi la psychanalyse est-elle concernée par la vie de la cité.
Une intervenante pointe le fait que, selon une perspective arendtienne, la psychanalyse est concernée par le politique dans la mesure où elle est concernée par le bien commun. La question concerne le politique comme type d'agir : qu'est-ce que le politique ou la politique, comme type d'agir, pour que l'être ensemble soit le meilleur possible ?
Dans cette optique, il apparaît que le politique arrive nécessairement au psychanalyste, par la parole qui lui est adressée.
Le politique ne s'exprime pas qu'à travers la parole, mais aussi à travers le corps (par ex., le corps tel qu'il est traité ou maltraité dans le monde du travail). Cette question ouvre sur celle des nouveaux symptômes aujourd'hui.
- Un débat s'ouvre sur la question du recours, dans la théorie psychanalytique, à un type de formalisme, mais aussi, plus loin encore, aux constructions théoriques classiques. Les concepts psychanalytiques, ou en tout cas certains d'entre eux, imposent-ils une vision normative (ex : complexe d'Œdipe) ? L'insistance sur les éléments structuraux n'induit-elle pas une conception réductrice ? Comment éviter ce réductionnisme ? Telles sont quelques-unes des questions soulevées par M.J.
A cela, un intervenant répond que la psychanalyse s'intéresse à ce qui varie dans la structure. Le recours à l'inconscient, au refoulement, à la pulsion, etc., est d'une actualité totale pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui.
S'ensuit un dialogue quelque peu tendu à propos de Lacan, avec derrière cet échange verbal la question de savoir si aujourd'hui en France il est possible d'être psychanalyste ou de s'intéresser à la psychanalyse sans références ni révérence à Maître Jacques.
Plusieurs intervenants défendent l'idée que les concepts, les théories, les écoles de pensée sont des supports pour la pratique. En ce sens, ils ne fonctionnent pas nécessairement en systèmes réducteurs, mais servent d'appuis, de cadres, de repères, et peuvent être utilisés de manière personnelle, en fonction des évolutions et des inventions de chacun.
Il est rappelé que la pratique analytique procède d'une perpétuelle réinvention et ne saurait être figée dans un corpus théorique unique.
En ce cas, commente M.J., pourquoi ne pas accepter de nouveaux concepts et théories, si ces nouveaux supports peuvent améliorer la pratique et pas seulement servir de langage véhiculaire commun ?
- Sur la tendance, dénoncée par M.J., à substantialiser en psychanalyse, par exemple les rapports entre le corps et l'âme en psychanalyse, une intervenante rétorque que cette tendance est moins prononcée qu'il n'y paraît. Selon elle, rares sont les théoriciens qui parleraient d'un inconscient qui serait " en moi ". Elle cite à ce propos les travaux de Perrier sur la transubjectivité. Elle indique de plus que si l'on peut s'accorder sur les dangers à substantialiser, il ne faut pas oublier les extrêmes inverses : dé-substantialiser totalement jusqu'à perdre toute unité, toute continuité. Pour M.J. dé-substantialiser n'est en aucun cas renoncer à la continuité, mais prendre celle-ci comme processus, devenir et non état stable. S'il est clair qu'il faut tenir debout pour marcher (stabilité) il faut aussi rompre cette stabilité pour marcher.
- M. J. présente, en quelques mots, une piste de réflexion construite autour de trois questions majeures, trois axes, trois modalités de l'existence :
- être ou ne pas être, lié à l'abandon et à la déréliction
- être ceci ou cela (homme ou femme, mais pas seulement), lié à l'inceste, à la fusion et à la " castration "
- création / stérilité, lié à l'instrumentation de soi par autrui, à l'asservissement, la répétition, etc.
Il remarque que la psychanalyse - qui rencontre sans cesse ces trois problèmes - a beaucoup plus théorisé le 2e mais trop peu les 1er et 3e.
- Une intervention attire l'attention sur l'usage des termes ou expressions " la psychanalyse " ou encore " l'essence de la psychanalyse " qui peuvent être enfermants. " La psychanalyse " n'est pas forcément un terme approprié dans la mesure où il n'y a pas de pratique uniforme. Encore une fois, la pratique c'est l'invention permanente.
La Psychanalyse avec un grand P n'existe pas. M.J. approuve entièrement ces remarques, et ajoute qu'il modifiera le titre de son texte, ainsi que certaines formulations, en conséquence.
- La discussion s'engage sur une éventuelle " fermeture " des analystes aux références, aux auteurs, aux travaux émanant d'autres disciplines. Il est fait mention d'un certain expansionnisme de la psychanalyse, en tout cas d'une vocation souvent affichée à commenter, à avoir des choses à dire dans des domaines non analytiques. En retour, les psychanalystes s'ouvrent-ils suffisamment aux savoirs extra-analytiques ?
Se référant à leurs propres pratiques, un certain nombre d'intervenants soutiennent qu'ils font appel à ces savoirs, à partir du moment où il y a des échos avec la pratique.
- Le débat est recentré sur la question des liens entre la psychanalyse et la cité. L'un des objectifs pour Rio est de s'interroger sur les outils dont dispose ou non la psychanalyse pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui, dans le social, et ce qui en arrive sur les divans.
Compte-rendu rédigé par Ma ïa Fansten et Michel Juffé
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