"Hiérarchie et transfert: l'héritage freudien"

Jacques Letondal

Introduction

Citons tout d'abord René Major dans son appel aux Etats Généraux de l'an 2000 :

" ... malgré sa force et sa vitalité nettement affirmées en cent ans d'expérience, il est dans la nature même de la psychanalyse - et de la mise en acte de l'inconscient - de susciter de constantes résistances. Rien n'y échappe. Et les institutions psychanalytiques qui se sont créées pour préserver l'héritage freudien et promouvoir la recherche analytique ont souvent engendré des rigidités qui vont à l'encontre du but qu'elles poursuivent. L'institution est appelée à être conservatrice et la démarche analytique, au contraire, à être novatrice, voire subversive. Un équilibre entre ces tendances opposées et les inévitables tensions qu'elles soulèvent est loin d'être aujourd'hui préservé. Le pouvoir qui se développe au sein des institutions repose trop souvent sur le manque de résolution des transferts, sur l'allégeance à une idéologie dominante et à son code langagier, qui servent plutôt à préserver les contrôles sociaux et bureaucratiques qu'à ouvrir de nouvelles frontières à la recherche et à l'extension de nos connaissances. L'action des organisations pour corriger ces déséquilibres, lorsqu'elle se manifeste, reste le plus souvent au service de l'institution."

L'histoire des origines...

Nous voudrions, en effet, mettre en lumière une contradiction des institutions psychanalytiques, déjà présente dans la 1ère Société créée par Freud. Tout se passe comme si Freud, qui critique de façon radicale les fondements de deux sociétés types de notre civilisation (l'armée et l'église ), ne pouvait cependant trouver d'autre modèle, conservant la fidélité au fondateur, l'allégeance à un seul chef, l'unité de doctrine, le rejet des dissidents, ce qui signifie, sur un plan psychanalytique, l'identification au chef pris comme objet d'amour, tenant pour chacun la place de l'idéal du moi.

En effet, qu'advient-il lorsque l'analyse elle-même perdure, et que, loin de conduire à la dissolution du transfert, elle maintient la relation transférentielle sous forme de "contrôles" de "seconde tranche" et d'appartenance à une société psychanalytique dont les "maîtres" sont l'unique et ultime référent théorique, le modèle de tout analyste possible ?

Et, aussi, quelle transmission ?

Nous voudrions évoquer très brièvement ( voire, lacunairement) les incidences de cette question sur l'histoire de Freud et du mouvement psychanalytique. Nous ne pouvons actuellement que présenter un projet d'étude plutôt qu'une étude achevée, même s'il existe un certain nombre de travaux épars ( nous nous reférons à François Roustang et à Paul Roazen ).

Il faut aussi évoquer la question de la légitimité de la démarche historique dans une histoire de la psychanalyse . Nous pensons qu'elle est incontournable, même si le psychanalyste, à son tour doit interroger l'historien sur la complexité des évènements dont il parle et sur la fragilité des témoignages sur lesquels il s'appuie.

1) Il y a , tout d'abord la phase que l'on pourrait dire solitaire, de Freud, qui va environ de 1895 à 1902 ou 1905: c'est la phase de la découverte, de la mise en place de la cure et de la publication d'ouvrages fondateurs sur l'hystérie, sur le rêve, sur la sexualité, bien sûr, sur l'inconscient et ses mécanismes qui apparaissent même dans la vie quotidienne. Freud dira au début de son "Histoire du mouvement psychanalytique": " La psychanalyse est ma création : pendant dix ans, j'ai été le seul à m'en occuper ".

2) De 1902 à 1908 : du groupe intime à la Société Psychanalytique de Vienne. ( cf. Roazen, " La saga freudienne ", pp. 113-116)
En 1902, ils sont 5 "intimes", dans la salle d'attente de Freud . En 1906, ils sont 17. A partir de 1910, il y a réunion des "admis" à l'univesité dans la salle de l'Ordre des médecins ( Freud s'est vu reconnaître, enfin , le titre de "Professeur extraordinaire" ).
Freud se réjouit de voir arriver, progressivement les "étrangers": Ferenczi, les suisses ( Eitington, Jung ), Karl Abraham ( Berlin ), Ernest Jones l'anglo-Saxon, ...

A propos des réunions du Mercredi soir, chez Freud, Max Graf écrit : " Il y avait dans cette pièce une atmosphère rappelant la fondation d'une religion.. Les élèves de Freud étaient ses apôtres...Si bienveillant et attentionné qu'il fût en privé, Freud était dur et impitoyable quand il présentait ses idées." Ce témoignage est atténué par les nombreus témoins qui soulignent la persuasive éloquence de Freud qui dominait les discussions.
Freud citait ses élèves , mentionnait leur travaux. Mais la psychanalyse restait son royaume privé. Après avoir cité ses élèves, il s'assurait qu'il ne pouvait y avoir de malentendu en matière de priorités : "Mais ces publications n'ont fait que confirmer mes vues et n'y ont rien ajouté. " Questions : "Devait-il en être ainsi ?"; et , puisqu'il en fût ainsi, alors : " Quelles conséquences sur l'institution psychanalytique ? ".

Comment les disciples s'en sont sortis ...

Dans les disciples immédiats : mentionnons Otto Rank, Wilhem Stekel, Victor Tausk, Sandor Ferenczi, Carl Gustav Jung, Georg Groddeck, Wilhem Reich , ... Tous différents, chacun demanderait une analyse nuancée, mais aucun n'a pu vraiment trouver sa place auprès de Freud jusqu'à la fin.

Nous évoquerons brièvement les cas de Tausk, de Rank et de Ferenczi. Ces évocations ne sont évidemment que des invitations à étudier plus amplement et plus en profondeur ces " histoires de disciple ".

A - Victor TAUSK ( 1879-1919 )

Tausk est né en Croatie. C'est un homme qui a des talents variés et qui aime la liberté. Il fut juriste, écrivain, critique, violoniste, dessinateur. Il écrit à cette période : " La manière dont je vis à présent est vraiment la meilleure; indépendant parceque personne ne dépend de moi, sans être esclave parce que je ne suis pas un maître ".

A 25 ans, c'est un homme en détresse et il se tourne vers Freud. Il déménage à Vienne en 1908. Tausk étudie la médecine et la psychiâtrie. On lui reconnaît des apports durables en psychanalyse ( sur la psychose, le vol des pensées, etc. ), reconnus par de nombreux disciples (comme Bettelheim ou Erickson ). En 1912 Tausk fait la connaissance de Lou Andréas Salomé et en devient amoureux. En 1913 et 1914 , il y a le triangle : Freud - Lou - Tausk, triangle que chacun trouve avantageux mais néammoins triangle infernal. Car Tausk agace Freud. Et pourtant Tausk est un "fidèle" ; ainsi il défendra Freud contre Adler.

De manière caractéristique, Freud désirait transcender les anciennes limites du savoir. Mais il estimait que Tausk s'emparait prématurément des problèmes. Le travail de Tausk irritait Freud surtout par son originalité. Assez étrangement, Tausk semblait capable d'anticiper les formulation mêmes de Freud ( d'où le sentiment du "vol des idées ).

Freud surveillait donc Tausk par l'intermédiaire de Lou.

Puis, en 1918, Tausk demande une analyse à Freud ; mais Tausk incommodait Freud ; la réponse de celui-ci fût négative. Il suggère à Tausk de faire une analyse avec Hélène Deutch, sa patiente depuis trois mois ; c'était flatteur pour elle mais insultant pour lui.

Tausk accepte donc d'aller en analyse six fois par semaines sur le divan d'Hélène Deutch. Mais Tausk ne parle que de Freud et, sur le divan de Freud, Hélène Deutch ne parle que de Tausk. Freud explique à Hélène Deutch que Tausk est un obstacle à sa propre analyse. Elle doit choisir. Pour Hélène Deutch, ce n'était pas un choix mais un ordre. La cure de Tausk cessa immédiatement.

Mécontent de dépendre ainsi de Freud , et en outre incapable de conclure son mariage avec sa fiançée ( Hilde Loewi ), Tausk se suicide le 3 Juillet 1919.

Evidemment , l'évocation de cette histoire ne doit pas prêter à anachronisme.Les premiers analystes, Freud compris n'avaient pas encore conscience de la puissance du transfert, tout au plus , pour eux, une forme de résistance à la cure !

(1) On peut se référer à l'ouvrage de Paul Roazen, "Animal, mon frère, toi", l'histoire de Freud et Tausk, Payot, Paris, 1971.

B - Otto RANK ( 1884-1939 )

Otto Rank tient une place exceptionnelle parmi les disciples de freud.

Il est d'origine sociale trés modeste et ouvrier. Il se trouve dans une école professionnelle quand en 1906, à 22ans il est présenté à Freud par Adler qui est son médecin.

Freud va patronner ses études secondaires et universitaires. Rank devient un secrétaire zélé du petit groupe de disciples ainsi qu'aide et collaborateur de Freud. Il devient assez rapidement très érudit, toujours soutenu par la générosité et la confiance de Freud. Il sera Rédacteur de la revue Imago et de la "Zeitschrift". Un été, Anna étant malade, c'est lui qui la remplacera comme compagnon de vacances. En 1918, il épouse Tola.

Il sera même dit que Rank serait un "successeur idéal" de Freud.

Rank a des idées personnelles et une recherche autonome. Pour Rank, "l'essence de la vie est la relation entre la mère et l'enfant ", liens reproduits dans le mariage.

En 1923, il publie "Le traumatisme de la naissance", qui est bien acceuilli par Freud. Rank se considérait d'ailleurs comme fidèle à la pensée de Freud. Presqu'en même temps , il publie avec Ferenczi " Le développement de la psychanalyse" ( traduit " Perspectives de la Psychanalyse ", dans les Oeuvres complètes de Ferenczi Tome III, pp 220-236 ). Le sous-titre est : "Sur l'interdépendance de la théorie et de la pratique ". Dans cet ouvrage, les auteurs montrent une grande attention au contre-transfert ( non encore désigné ainsi ), à l'interaction analyste patient, aux incidences quotidiennes de la cure et des séances ( alors que Freud reste centré sur la remémorisation), à l'usage thérapeutique du passage à l'acte comme revécu émotionnel du passé.

Freud a toujours voulu respecter la personnalité de Rank. Il voulait "garder" Rank et le laisser élaborer ses idées,; mais Rank fut victime d'autres disciples qui se donnèrent, en partie inconsciemment, le rôle d'inquisiteurs et de chasseurs de sorcières. Karl Abraham et Ernest Jones n'eurent de cesse de dénoncer les "déviations" de Rank ( aussi à coup de diagnostics sur la personnalité de Rank ). C'est là un aspect important du problème "hiérarchie et transfert". La rivalité des disciples débouche sur des tentatives visant à éliminer des soi-disant favoris par l'exclusion, l'excommunication, ...

Freud est dépassé par ce genre de phénomène et ne sait plus que penser ; il écrit en 1924 : " Je ne comprend tout simplement plus Rank... Quel est le véritable Rank , celui que j'ai connu pendant quinze ans ou celui que Jones me montrait depuis ces quelques dernières années ?". N'y a-t-il pas des abîmes dans cette dernière phrase, concernant l'ambivalence, le transfert et le contre-transfert ?

Le cancer de la mâchoire de Freud avait précipité les choses. Rank chercha son autonomie. En 1924, il accepta une invitation de six mois aux Etats-Unis. Il se mit à faire des voyages entre Vienne, Paris et New-York. Il répondit aux besoins de formation des psychanalystes new-yorkais et y trouva des avantages financiers. Il exerca surtout à Paris et à New-York; il s'attacha à pratiquer des analyses plutôt brèves.

Quel fut le rôle de sa femme Tola ( installée à Paris) dans la fracture avec Freud ? ( ce ne fut pas une rupture, Rank se considéra jusqu'au bout comme disciple de Freud ) En tous les cas, Rank prend ses distances avec Tola. Il essaye aussi de justifier sa prise d'indépendance : traumatisme dû " à la grave maladie du Professeur", "état "maniaque" pour s'épargner la douleur d'une perte"...

Un mois après la mort de Freud, Rank mourut subitement à l'âge de 55 ans ; il aurait succombé par réaction allergique à un médicament au souffre. Il venait de se marier avec une collaboratrice hors-pair, qui avait traduit ses écrits. Il était heureux , avait terminé un nouvel ouvrage et devait s'installer en Californie !

C - SANDOR FERENCZI ( 1873-1933 )

Parler de la relation Freud-Ferenczi est à la fois plus facile et plus difficile, précisément parceque nous avons à faire à deux immenses penseurs et aussi parce que nous disposons d'une masse de documents et de travaux.

Il s'agit d'une longue relation de plus de vingt ans ; ils ont échangé 1236 lettres ; ils se sont rendu visite à plusieurs reprises. Ferenczi a fait trois tranches d'analyse avec Freud .

Freud admire et aime Ferenczi plus que tout autre . Et pourtant ils sont très différents. Ferenczi est plus fantaisiste, plus brillant, plus passionné ; il a des problèmes avec les femmes. Mais Freud s'efforce de respecter cette différence ; il le traite parfois de manière assez paternelle comme s'il sagissait d'un adolescent en crise.

A partir de 1923 Ferenczi commence à marquer sa différence. Roazen dit que le problème central entre Freud et Ferenczi fût la question de la pratique en technique psychanalytique. En réalité, il s'agit d'une question beaucoup plus profonde ; il s'agit de la question du contre transfert dans l'analyse ; il s'agit aussi de la place de la mère dans le vécu premier de l'être humain; il s'agit, enfin, du rôle du revécu, des émotions et des traumatismes dans la cure.

A propos du livre que Ferenczi publia avec Rank, " Le Développement de la Psychanalyse" dont nous avons déjà parlé, Freud exprima des réserves qui touchèrent beaucoup Ferenczi . Freud lui écrivit donc le 4 Février 1924 pour le rassurer :

" Maintenant, en ce qui concerne votre effort de rester entièrement et toujours en accord avec moi, je l'apprécie au plus haut point comme expression de votre amitié, mais je trouve ce but ni nécessaire ni facile à atteindre. Je sais que je suis difficilement accessible et que, tout d'abord, je ne peux rien faire des idées étrangères qui ne se trouvent pas complètement sur mon chemin. Il faut un bon moment avant que je puisse me faire un jugement à leur sujet et, entre temps, je dois garder mon jugement "in suspenso". Si vous vouliez attendre aussi longtemps à chaque fois, c'en serait fini de votre productivité. Cela ne peut pas marcher ainsi. Que vous-même et Rank, lors de vos échappées indépendantes abandonniez un jour le sol de la psychanalyse, cela me paraît quand même exclu. Alors pourquoi n'auriez vous pas le droit d'essayer de voir s'il n'y a pas quelque chose qui fonctionne autrement que je ne l'avais pensé. Si vous vous êtes égaré, vous finirez par vous en appercevoir vous-même, ou bien je prendrai la liberté de vous le dire dès que j'en aurai la certitude moi même. " Correspondance T. III, 1920-1933, pp 142-143,Calmann-Lévy, 2000.

Cette lettre montre bien le mélange de confiance, d'ouvertue, mais aussi de méfiance chez Freud ( sous le couvert de précaution scientifique ?! ).

Mais les années vont passer et les adversaires de Ferenczi vont faire leur travail de sape auprès de Freud.

Et puis ce fut le choc de 1932. Ce fut le fameux article intitulé : " Confusion de langue entre l'adulte et l'enfant ".

Eva Brabant-Gerö résume ainsi le contenu de cet article qu'elle appelle "sa dernière conférence" :

" Le contenu de sa dernière conférence, faisant date à la fois dans l'histoire du mouvement analytique et dans l'histoire de ses rapports avec Freud, traite de la passion, "langage" spécifique aux adultes, et de la tendresse, expression la plus représentative des enfants. Les rapports entre les deux se déroulent sous le signe de la séduction, et de "l'identification à l'agresseur". Les expériences de l'enfant peuvent être d'autant moins verbalisées qu'elles seront suivies par une véritable conspiration du silence, à laquelle participe le plus souvent la mère. Les scènes de séduction ne sont jamais évoquées avec précision dans la cure en raison d'un processus de clivage. La victime se comporte par la suite comme si sa personnalité n'était composée que du "ça" d'une part et du "surmoi" de l'autre, le "moi" médiateur lui faisant complètement défaut. La conférence s'achève par un appel pathétique que Ferenczi adresse à ses collègues :

" Je serais heureux si pouviez prendre la peine de vérifier tout cela, sur le plan de votre pratique et de votre réflexion, si, aussi, vous suiviez mon conseil d'attacher dorénavant plus d'importance à la manière de penser et de parler de vos enfants, de vos patients et de vos élèves, derrière laquelle se cachent des critiques, et ainsi leur délier la langue, et avoir l'occasion d'apprendre pas mal de choses ." (Eva Brabant-Gerö, Ferenczi et l'ecole hongroise de psychanalyse, L'Harmattan, 1993 )

Pour évoquer l'impact de ce texte sur Freud et sur le mouvement analytique, je voudrais maintenant, ici, laisser la parole à un psychanalyste new-yokais, Jay Frankel dans un article intitulé : " La Découverte impardonnable de Ferenczi : comment son concept d'identification à l'agresseur continue de subvertir le modèle thérapeutique de base." ( traduction à paraître en Septembre 2003 dans la revue "Le Coq-Héron" no 174 ) :

" On raconte que lors de la visite de Ferenczi à Freud au 19 de la Bergstrasse, le 30 Août 1932, pour lui lire ce qui s'est avéré son dernier article, " Confusion de langue ", qu'il s'apprêtait à prononcer au congrès de Wiesbaden, Freud en a été si bouleversé qu'il refusa ensuite de lui serrer la main. Quelques jours plus tard, Freud écrivit à sa fille Anna :

"... je l'écoutais, choqué. Le processus de régression où il est engagé le porte à entretenir les vues d'une étiologie à laquelle j'ai cru, mais que j'ai abandonnée il y a trente -cinq ans: à savoir que les névroses sont couramment causées par des traumatismes sexuels subis dans l'enfance." Eitingon, qui avait organisé le congrès, voulait empêcher Ferenczi de présenter sa conférence, et Freud le "supplia" de ne pas la lire; cependant, Ferenczi la présenta. Toutefois Freud demanda à Ferenczi de retarder la publication d'un an., espérant que de nouvelles réflexions le feraient revenir sur certaines de ses idées erronées. Après la mort de Ferenczi au mois de Mai suivant, Jones empêcha la publication de l'article dans le Journal International où elle avait été programmée, et l'article n'a pas été publié pendant 16 ans, jusqu'en 1949. Une fausse rumeur a été répandue, publiée comme un fait dans la biographie de Freud par Jones ( 1957 ), selon laquelle Ferenczi aurait été atteint d'une maladie mentale ; il y suggérait que son oeuvre tardive n'était qu'un produit de sa maladie.La rumeur persiste jusqu'à ce jour. Michael Balint fit remarquer que pour plus d'une décennie, le sujet de la "Confusion de langue"- trauma, régression et contre-transfert - ainsi que son auteur, avaient été bannis du discours psychanalytique."

" Alors, qu'a donc écrit Ferenczi qui soit si "politiquement incorrect" ? Etait-ce d'avoir ravivé les idées abandonnées par Freud concernant l'étiologie traumatique de la névrose ? C'était là le reproche fait par Freud, cependant pas entièrement justifié. Etait-ce, comme Masson (1994) le soutient, l'insistance de Ferenczi sur l'idée que l'abus sexuel des enfants était beaucoup plus répandu que ses contemporains voulaient le reconnaître ? Etait-ce son intérêt pour la valeur thérapeutique de la régression, comme Balint l'affirmait ? Etait-ce le fait qu'il accusait les analystes de ne pas être vraiment bienveillant à l'égard des patients, et même,souvent, de leur infliger de subtils traumatismes ?

A toutes ces questions on peut répondre "oui"...Et même aujourd'hui, ses idées continuent à questionner nos convictions de base concernant la technique. " ( et au delà...)

Mais ici nous quittons l'histoire et nous vous renvoyons aux écrits théorico-clinique de Fabio Landa , de Michel Juffé, et de Jay Frankel.

Au congrès de Wiesbaden, Ferenczi était déjà gravement malade; il souffrait d'une anémie de Biermer, incurable à cette époque.

Freud et Ferenczi restèrent chacun sur leur position; Ferenczi ne voulut pas renoncer à publier son article. Freud continua à lui donner tord, lui disant aimablement : " Je suis convaincu que vous êtes inaccessible à la réflexion ". Après Octobre 1932 , ils n'en discutèrent plus. Ils échangèrent une huitaine de lettres amicales, de voeux de bonne année, etc. Ferenczi conseilla à Freud de quitter l'Autriche pour l'Angleterre, pour échapper au danger nazi , danger que Freud méconnaissait sérieusement. La dernière lettre de Ferenczi ( 4 Mai 33 ) est pour souhaiter à Freud un bon anniversaire . Ferenczi meurt le 22 Mai 1933 .

Terminons cette évocation des disciples en rappelant que Roazen, l'auteur de " La saga freudienne " ( tragédie de l'ingratitude pour certains, destin si funeste pour d'autres ) insiste sur le climat de création, de foisonnement d'idées, de tâtonnements inévitables de la pratique des premiers analystes, dans lequel baignaient Freud lui-même ainsi que ses disciples. Nous avons à faire, non à un homme seul, même s'il fut le premier ( car il a lui-même des dettes vis à vis de ses contemporains et de certaines de ses sources ), mais à une pleïade d'explorateurs, dont les expériences et les oeuvres sont pour nous un enseignement. Peut-être éviterons nous ainsi de faire de la psychanalyse une religion, de Freud un dieu et de nos maîtres ses prophètes !

De la difficulté d'être disciple ...

Que devient le transfert dans le fonctionnement institutionnel ?

Transfert et transmissibilité de la psychanalyse ( de la théorie ! ).

Alors ? Quelle transmission possible ?

Disons ( en s'inspirant des formulations de François Roustang) qu'il n'y a pas de transmissibilité possible de la théorie analytique en dehors de l'exercice de la psychanalyse ; et nous voulons proposer ici deux postulats à la transmission de la théorie analytique :

1) Il y a psychanalyse possible lorsque le psychanalyste a "oublié" la théorie. Mais l'oubli du savoir est corrélatif de la tentative de théorisation, qui vient à son heure et toujours à travers un long passage où le psychanalyste, parce qu'il est pris dans le tranfert à un point qu'il ignore, ne sait plus où il en est ( absence de maîtrise ).

2) La situation d'élève est contradictoire avec celle d'analyste. L'élève est celui qui écoute le maître, reçoit de lui, comprend, illustre, développe, prolonge la théorie du maître, mais s'interdit toute nouveauté, toute mise en question et toute refonte. La pratique de l'analyse se situe au delà de cette "étape" ! La théorie analytique n'existe qu'au temps de l'invention dans l'excercice de la psychanalyse. Il ne peut y avoir de théorie analytique que dans l'après coup !

Évidemment le problème de la hiérarchie mettant en échec le fonctionnement démocratique est un phénomène humain présent dans toute institution , y compris psychanalytique; mais il apparaît que dans l'institution psychanalytique nous sommes en présence d'une difficulté spécifique, d'une contradiction liée au statut épistémologique de la psychanalyse.

L'histoire des institutions psychanalytiques nous fourniraient d'innombrables exemples de conflits d'autorité et d'othodoxie comme il y en eu à cette aube du mouvement psychanalytique ; il y eût même quelques morts...

Mais, aussi, des psychanalystes tentérent d'ouvrir la pensée psychanalytique à des débats, à des échanges entre les diverses école qui s'étaient séparées, scindées au cours du 20ème siècle. En France, le mouvement "Confrontation" publie ses premiers Cahiers au printemps 1979. Le Collège de psychanalystes est fondé en Novembre 1980 ; l'expèrience du Collège se terminera abruptement au printemps 1994 ! Il y a là riche matière à réflexion historique.

Les Etats généraux de la psychanalyse ne sont -ils pas un nouveau moment pour ouvrir la psychanalyse à une réflexion sur elle-même, sur sa diversité, sur ses rapports avec les sciences, la philosophie et la culture, ainsi que sur sa relation avec le monde contemporain, dans l'échange avec tous les mouvements psychanalytiques et tous les praticiens de la psychanalyse ?.....